Après une paisible traversée du Mékong, nous arrivons à Phnom Penh, capitale du Cambodge. Et le premier visage que nous en découvrons n'est pas conforme à l'image habituellement partagée du "Pays du Sourire". Non. Ici, point ou peu de sourires... Nous sommes étonnés et un peu "déçus". Après Hanoï, nous nous demandons si ce n'est pas le lot de toute capitale... Ou alors, est-ce lié à l'histoire de cette ville qui a vécu l'horreur il y a 30 ans...
Car finalement, nous ne connaissons pas cette tragédie Cambodgienne : trop jeunes à l'époque pour se souvenir de ces évènements, trop récents par ailleurs pour être enseignés ensuite à l'école, au lycée, ou dans les études ultérieures. Nous ne savions pas ce que ce peuple avait enduré et souffert il y a si peu de temps...
1975. Année "zéro". La victoire des Khmers Rouges et de leurs idéaux révolutionnaires à forte tendance communiste... Le 17 avril 1975, les Khmers Rouges entrent dans Phnom Penh, silencieusement, calmement, avec discipline, après 5 ans de guérilla dans les campagnes contre l'armée gouvernementale d'une République archi-corrompue et soutenue par les Américains. Les Phnom-Penhois accueillent les vainqueurs en "libérateurs" : la guerre est finie, les choses vont changer, pour le bonheur de tout le peuple Cambodgien... Et puis, très rapidement, la joie fait place aux doutes, à la crainte, puis à la désolation. En quelques heures, toute la capitale est évacuée par ces très jeunes soldats, analphabètes, aculturés, embrigadés dans la Révolution dès leur plus jeune âge, éloignés de leurs parents, de leur famille, guerriers sans âme, déshumanisés... La capitale est vidée. Une foule innombrable de déportés marche vers les campagnes. Près de 2 millions de Phnom-Penhois quittent la capitale, avec leurs plus simples bagages, pour "reconstruire le pays" au côté des paysans et permettre ainsi au nouveau Kampuchea Démocratique de réaliser son "grand bond en avant". Parallèlement, le mécanisme d'une idéologie et d'une logique ultra-égalitaires, implacables et jusquauboutistes se met en place : suppression de toute forme de monnaie, suppression de la religion Bouddhiste, destruction des pagodes et des vestiges de l'Histoire, rupture des liens familiaux, modification en profondeur de la grammaire, des signes de reconnaissance et de politesse, élimination des "élites", des intellectuels (dont font partie ceux qui portent des lunettes...), de tous ceux qui ont "profité" de l'ancienne République (militaires, bourgeois, hommes d'affaires), exécutions sommaires et massives à la pioche... pour économiser des munitions.
L'objectif est de redonner le pays aux mains du peuple-paysan en renversant ce "panier de fruits" qu'est le Cambodge pour n'y remettre que les fruits les "meilleurs"... Les Khmers Rouges avaient coutume de dire : "il nous suffit seulement de 1 ou 2 millions de jeunes Cambodgiens pour construire un nouveau Kampuchea". Terrible, lorsqu'on sait qu'en 1970, le pays comptait presque 8 millions de personnes...
Dès lors, le résultat de cette Révolution Rouge, qui a vu des Cambodgiens exterminer leurs frères, leurs voisins, leur famille, est "sans surprise" : des millions de morts (quasiment la moitié de la population du pays !!), un pays exsangue, destructuré, qui peine à reformer une "élite" qu'elle soit intelectuelle, enseignante, politique...
Nous "visitons" deux symboles de ce génocide, où nous allons, plus exactement, nous "recueillir" : la prison S21 et les champs d'extermination.
S21... Cette ancienne école, annexée par les Khmers Rouges, va servir de prison politique ou plutôt d'antichambre de la mort. En son enceinte, plusieurs milliers de prisonniers Cambodgiens seront interrogés, torturés, puis tués à 15 km de la ville, dans les champs d'extermination... Les murs et le sol de certaines cellules gardent encore les traces de sang séché des suppliciés... Nous parcourons ces bâtiments dans le silence ; comme beaucoup, nous sommes sans voix, interloqués, choqués par ce que nous voyons, par ce que nous ressentons. L'émotion qui se dégage de ces murs se contient difficilement. Des "visiteurs" pleurent. Le souvenir de toutes ces victimes hante les murs et les salles dans lesquelles des panneaux sans fin présentent les portraits des victimes, comme ultime reconnaissance de leur calvaire. Beaucoup de photos de victimes, mais aussi de leurs frères bourreaux...
La potence trône au milieu de l'ancienne cour de récréation, là même où, avant ces temps d'exactions, les enfants jouaient et grimpaient à la corde... Quand ces bâtiments tenaient lieu de prison, personne n'y a rien appris. Quand ils résonnaient des cris de joie des enfants, personne n'y est mort...
"Passée" l'horreur de ce génocide, nous réalisons avec difficulté que les bourreaux d'hier sont libres et se confondent dans la population Cambodgienne... Après ce que nous venons de voir, cela nous parait impensable ! D'autant que jamais les coupables n'ont été jugés (le seront-ils un jour ??)... Comment les Cambodgiens peuvent-ils vivre "ensemble" : tel chauffeur de taxi n'est-il pas l'ancien bourreau d'un parent de son client ? De fait, le Cambodge avance, indubitablement, en essayant "d'oublier" le passé. Cependant, au delà de ce souhait bien légitime, et tout à fait louable, d'aller de l'avant, de laisser le passé derrière soi, nous savons aussi que certains, impliqués dans ce génocide, voudraient tout simplement "effacer" cette période... A nous de ne pas oublier.
Nous refermons ce chapitre, en espérant ne pas trop alourdir le ton léger de ce blog. Mais nous ne pouvions passer sous silence ce que nous avons découvert et appris de ces terribles événements et surtout ce que nous en avons ressenti, profondément.
D'autant que Phnom Penh, ce sont aussi ses marchés couverts, ses bâtiments coloniaux Français et surtout ses superbes temples et pagodes Khmers disséminés dans toute la ville, ornés de toute la richesse de la cosmologie Bouddhique. Nous visitons notamment le Musée des Beaux Arts de la ville, et commençons à nous imprégner des différents styles d'architectures Khmers, ce qui nous sera très utile par la suite !
Nous quittons en effet Phnom Penh et ses plaies encore ouvertes sur son passé tragique pour Siem Reap, à quelques km d'Angkor !! Angkor et ses temples magnifiques évidemment mais aussi Angkor et ... ses sourires ! Le Cambodge tel que nous l'avions imaginé !! Avec en particulier tous ces enfants absolument irrésistibles avec leur bouille tout sourire, et leur anglais (ou leur francais !!) à faire pâlir nos chers professeurs de langues !!
Nous acquérons un "pass-semaine" : malgré la chaleur étouffante (40 degrés) nous voulons prendre le temps de visiter toutes les merveilles dont regorgent ces lieux mythiques, le temps de savourer chaque temple, d'en admirer les linteaux ou les bas-reliefs finement ciselés, tous plus superbes les uns que les autres : gracieuses apsaras aux poitrines opulentes dansant sur des musiques célestes, divinités chevauchant leur monture fantastique, fresques de guerres épiques entre les Devas (les Dieux) et les Asuras (les Démons), avatars des Dieux de la Trinité Brahmanique (Brahma, Vishnou, Civa) trônant au milieu de toute cette effervescence...
Au XIIème siècle, alors que Paris érige la Cathédrale Notre-Dame, les Khmers font sortir de terre en à peine 37 ans ce qui reste à ce jour l'une des plus majestueuses constructions de l'Humanité : le temple-montagne d'Angkor Vat, et ses cinq fameuses tours, le symbole de tout un pays ! D'autres temples, moins institutionnels, nous charment tout autant voire davantage : le Bayon et ses mystérieuses têtes aux sourires si énigmatiques, Banteay Srei (la Citadelle des Femmes) aux bas-reliefs et aux linteaux absolument sublimes de finesse et de délicatesse (que notre cher Malraux ira d'ailleurs découper à la scie pour quelques 800kg de pierre ! Chapeau l'artiste !), la Terrasse du Roi Lépreux et ses murs entièrement sculptés de milliers de Divinités, Démons, guerriers, êtres fabuleux, ou encore Ta Phrom, encore envahi par la jungle, à l'atmosphère si étrange et romantique... Ces temples, ainsi que les nombreux autres, plus petits ou moins "prestigieux", sonnent aujourd'hui en nous comme autant de joyaux, symboles de la magnificience, de la beauté, ou du mystère du génie Khmer...
Et cette semaine complète n'aura pas été de trop pour parcourir cet immense parc archéologique ! Tous les jours, nous nous levons tôt pour profiter des couleurs toujours différentes d'un lever de soleil et c'est sous les heures les moins chaudes de la journée que nous entamons nos 6 à 8 heures de visites quotidiennes (quitte à revenir le soir pour le coucher du soleil), nous déplaçant de site en site avec notre tuk-tuk brillamment piloté par Pala, notre chauffeur, qui sera d'ailleurs toujours au rendez-vous ;) !
Après ces visites envoûtantes, passionnantes et - un peu - fatigantes, c'est sous un soleil de plomb que nous quittons le Cambodge pour la Thaïlande. Un soleil de plomb... et des seaux d'eau... au sens propre !! C'est le Nouvel An Bouddhique ! Comme dans tout le Sud-Est Asiatique, cette fête de 4 jours se célèbre au rythme des éclaboussures, des jets d'eau et de talc sur tout ce que la rue compte de passants, de motocyclistes, ou de touristes ! Tout le monde participe, petits et grands, dans une ambiance bon-enfant, "noyée" d'éclats de rire !
Nous voici maintenant à 1 mois et demi de notre retour en France. Aussi, nous avons déjà établi le programme adéquat pour ces dernières semaines : PLAGES, SOLEIL ET BAIGNADES !! A bientôt !
Plouf !